Parti d’un simple poste d’agent faisant sentinelle dans la guérite de Belvil, à Pétion-Ville, il a gravi les échelons pour devenir chef d’un puissant gang armé cassant toutes les barrières qui se dressaient sur son chemin. L’homme n’est pas innocent comme son nom l’indique.
L’innocent, dont l’innocence est parfois mise à mal, jouit d’une notoriété sans pareille dans la région où il a établi son quartier général. Il pourvoit aux besoins en nourriture des femmes et des enfants, même si les provisions sont acquises par le vol. Le hors-la-loi dérobe des vivres pour nourrir sa communauté. Il se fait le pourvoyeur des nécessiteux.
Mais lorsque les jeunes garçons du quartier osent demander du ravitaillement, l’innocent les toise avec mépris, les accusant de paresse, tout en leur offrant des armes pour aller chercher la vie. Il leur dit souvent : « Ne baissez pas les armes. Les fusils vous élèvent en dignité. »
C’est malheureusement le lot des démunis dans ce pays impitoyable : ils doivent se battre pour survivre, avec pour seuls alliés leur courage et leur débrouillardise malsaine. Ainsi, l’homme au cœur dur, qui distribue les armes comme d’autres distribueraient du pain, semble suivre une loi impérieuse, dictée par la nécessité de tuer pour subsister.
Que valent les codes moraux face à la faim qui tenaille les ventres vides ? Le dicton courant soutient qu’un ventre affamé n’a pas d’oreilles pour écouter les principes qui consolident l’ordre et la justice dans notre société. Ainsi, je m’interroge sur la disparition des institutions vouées à la protection de la jeunesse.
Les bandits qui nous persécutent et que la population pourchasse aujourd’hui ne sont point étrangers venus d’un autre monde. Ils sont issus de nos propres foyers et de nos voisinages. Sans intervention décisive, les politiques et les entrepreneurs véreux continueront d’instruire perfidement la jeune génération sur la légalité supposée du banditisme comme mode de subsistance.