Je me rappelle qu’en 2011, le ministre de la Culture d’alors, Mario Dupuy, nourrissait l’ambition profonde de tisser au sein du système scolaire haïtien les fils délicats d’un projet d’éducation artistique et culturelle. Le thème qu’il avait choisi résonnait ainsi :  « Éduquer les enfants et les jeunes Haïtiens pour en faire des citoyens créateurs et consommateurs d’art et de culture ».

Mais à ce jour, malgré les efforts consacrés par certains directeurs d’école, la réalisation de cette noble aspiration demeure vaine. Il est désormais évident que l’éducation prodiguée aux enfants d’Haïti les mène, non point à être les artisans de leur propre expression, mais bien les prédateurs de leur propre héritage culturel.

Deux autres ministères, l’Éducation nationale et la Formation professionnelle, ainsi que celui de la Jeunesse, des Sports et de l’Action civique, s’étaient joints, main dans la main, au Ministère de la Culture, pour donner vie à ce programme vibrant d’une nouvelle vie, puisé dans les recommandations ardentes et les horizons esquissés lors des Assises nationales de la Culture, qui se sont tenues les 28, 29 et 30 juillet 2011.

J’avais personnellement salué cette initiative. La mise en contact des enfants avec l’art dès leur plus jeune âge mérite encouragement et soutien. Leur ouvrir les portes de diverses formes de culture est une entreprise noble. L’État peut dignement s’assigner cette tâche et s’y atteler, non seulement lors des moments de récréation, mais également de manière continue, afin d’aider les jeunes à forger une identité positive et de leur permettre de développer une culture unique, puissante, riche et harmonieuse. Permettre aux enfants de se familiariser avec l’art, c’est leur ouvrir les portes de l’universel.

Le citoyen créateur, si Monsieur Dupuy faisait référence à la même notion que nous, est celui qui possède non seulement les compétences de lecture, d’écriture et de calcul, mais également la capacité de ressentir, d’apprécier, d’observer, de comparer, de juger et de critiquer.

Pour atteindre cet objectif, les arts, à travers des disciplines telles que le dessin, la musique, la danse et le théâtre, doivent être effectivement enseignés dans les écoles haïtiennes. Ils doivent être intégrés officiellement aux programmes d’études, non pas comme des matières de distraction, de détente ou de divertissement, mais comme des cours faisant l’objet d’une évaluation qui se veut non rigoureuse, mais prudente. Il ne faut pas les imposer aux élèves. Il serait risqué de vouloir faire de l’art une matière scolaire.

« L’enfant qui dessine ne pense pas s’adonner à un simple divertissement gratuit ».

Daniel Widlöcher, docteur en psychologie

Il convient également de souligner qu’il est impératif d’éviter de considérer les arts comme de simples matières d’agrément ou de décoration si nous souhaitons réellement amener nos élèves à la découverte des hommes et des civilisations. En fin de compte, c’est bien de cela qu’il s’agit lorsque nous abordons sérieusement l’éducation artistique et culturelle à l’école : faire découvrir aux enfants les différentes facettes de l’humanité et leur apprendre à vivre en harmonie avec elle.

D’ailleurs, la preuve en est indéniable, même avec les 500 millions de gourdes dont disposait le ministre, ce programme se révèle malheureusement être une utopie.

Cependant, il existe un problème capital auquel les directeurs et professeurs d’école ne prêtent jamais attention. Inscrire l’éducation artistique et culturelle dans le programme des établissements scolaires haïtiens représente une charge pratiquement insoutenable, surtout pour les responsables d’école, en raison des obstacles qui n’ont pas encore été éliminés :

… le manque de professeurs d’art, de ressources et de matériel pédagogique.

Concernant cela, je rends hommage aux recueils de dessin conçus par les Frères de l’Instruction chrétienne (FIC) en Haïti, même si j’admets qu’ils requièrent une révision minutieuse. À cela s’ajoute une réduction injustifiée du nombre de jours de classe. Aujourd’hui, les enseignants et les élèves doivent prendre des raccourcis afin de pouvoir couvrir le programme scolaire dans les délais impartis.

Education artistique_Haiti

Lorsque nous évoquons l’éducation artistique, il est également essentiel de déterminer s’il s’agit d’une éducation à l’art et par l’art, ou s’il s’agit simplement d’un enseignement de l’art. En pesant les alternatives, il apparaît que la première option est préférable à la seconde pour former des citoyens créateurs, car elle ne relègue pas l’enseignement artistique à une activité marginale, exclue du champ des motivations scolaires. Au contraire, elle implique une approche double : la pédagogie par l’art et la pédagogie de l’art.

Un autre problème remarquable se pose dans le domaine de l’action culturelle en milieu scolaire : le manque de temps accordé à cette dernière. Comment pouvons-nous nous organiser de manière à ne consacrer que 30 minutes par semaine à une matière aussi importante que le dessin, par exemple ?

De la première à la sixième année fondamentale, l’enseignement du dessin est souvent confié aux instituteurs et institutrices qui, il faut le reconnaître, ne peuvent qu’assurer la distribution de papier et de crayons.

Les enfants se livrent généralement à de médiocres exercices de copie. Les titulaires, n’étant pas formés pour assumer l’éducation artistique, profitent de ce créneau horaire pour permettre aux élèves de se reposer.

En France, le 22 mars 1879, date à laquelle le dessin a été intégré à tous les établissements scolaires français, un certificat d’aptitude à l’enseignement du dessin (C.A.E.D.) a été mis en place pour combler le manque de connaissances des instituteurs dans cette nouvelle discipline. Des épreuves de dessin ont même été introduites dans le certificat d’études primaires et le brevet supérieur afin d’évaluer le niveau des élèves dans cette matière.

Enfin, les problèmes sont multiples, et personne ne semble réellement s’en soucier !

Robenson D’Haiti
Journaliste Professionnel
www.robensondhaiti.com

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