Haïti, mars 2024. Des immondices tapissent la chaussée. Les rues de Port-au-Prince se transforment en des chemins spongieux sous nos pieds. Une population grouillante de mouches suit nos pas. Pourtant, notre cohabitation avec ces insectes ne relève pas simplement de la résignation, mais plutôt d’un geste d’hospitalité, comme on le dit de nous.
Dans mon pays, l’enfant qui bâille de faim a plus de chances de voir une balle perdue tomber dans sa bouche qu’un morceau de pain.
Dans mon pays, plus précisément dans Port-au-Prince, tout cadavre non décapité ou brûlé est suspect et accusé de tromper la mort bien méritée.
Au cœur d’un échange de tirs entre les forces de l’ordre et une bande armée, une sexagénaire, terrifiée, s’est réfugiée dans un corridor. C’est là qu’elle se retrouve inopinément enrôlée par les malfrats pour une tâche des plus inattendues : la préparation de café. Les détails poignants de cette situation ont été partagés par un jeune homme, fils de la dame, qui a été contacté par les hors-la-loi afin de le tenir informé. Malgré les circonstances, la protagoniste assure être traitée avec une certaine bienveillance par ses ravisseurs, allant même jusqu’à promettre à son fils de le revoir bientôt, dès qu’un jour de repos lui sera accordé.
Aucun récit nuancé ou pacifique ne saurait être esquissé au sujet de la capitale d’Haïti, Port-au-Prince, sans évoquer les tragédies qui y persistent.
Dans mon pays, civils armés et désarmés s’entre-déchirent dans une lutte pour s’emparer d’un pouvoir qui n’appartient à personne, pas même à des autorités illégitimement constituées. Dans ce malaise politique, les rues résonnent du fracas des armes.
Port-au-Prince, avec ses 36,04 km² de superficie, serait un lieu stratégique pour programmer le pillage et l’affaiblissement de tout un pays.
Lors d’une conversation récente, j’ai eu l’occasion d’échanger avec mon ami Drelin Laguerre, auteur émérite de l’œuvre majeure baptisée « Le Dilemme Haïtien », en vente à la librairie “La Pléiade”, à Pétion-Ville. Au cours de cet échange, l’écrivain m’a confié sa vision singulière de « Port-au-Prince » en tant que pièce maîtresse entravant la vaste progression d’Haïti vers le progrès, à tous les égards.
Et si un jour Port-au-Prince devient ce territoire totalement perdu, que gagnera-t-on ?