À l’âge de quatorze ans, en Haïti, elle brillait parmi les élèves, gratifiée de l’estime de ses parents et de ses enseignants. Mais un homme, dont elle connaissait à peine l’identité, s’est aventuré dans son quartier, jetant dans sa vie un fruit de bouleversement qui continue de la tourmenter. Dans l’optique de cet article, nous la désignerons sous le nom de Steph.
Elle a poursuivi son cheminement scolaire, s’accrochant aux bancs d’école usés. Cependant, la croissance de son ventre trahissait peu à peu sa condition de future mère. La grosseur du ventre dénonçait la grossesse. C’est ainsi que l’éclat du scandale avait jailli, révélant au grand jour la vérité. Épuisés de chercher l’auteur de cette existence en devenir, les parents avaient décidé, au terme d’un interrogatoire insoutenable pour la jeune fille, de l’expulser de la maison en pleine nuit.
Le lesbianisme comme échappatoire : le combat d’une jeune fille sans défense, en Haïti
Abandonnée dans les rues de Pétion-Ville, Steph a été accueillie par un groupe de prostituées, sensibles à son malheur. Elles lui ont offert refuge et subsistance jusqu’à son accouchement. Un mois plus tard, ces bienfaitrices, ayant déjà prêché par l’exemple, ont demandé à la gamine de se joindre à elles pour gagner de quoi nourrir son enfant. Par gratitude, elle a accepté sans demander de précisions sur les modalités. Cette première soirée de travail a marqué sa vie. Elle est rentrée les mains vides, alors que son garçon avait besoin d’être nourri.
Malgré tout, les secouristes ont proposé à la jeune mère de la rémunérer, mais en échange de faveurs charnelles, ce soir-là. C’était là son baptême à la réalité du lesbianisme.
Dans les rues de Pétion-Ville : une adolescente face à l’indignité et à la survie
Les prostituées bienveillantes se moquaient de la jeune femme qui entrait brusquement dans le monde du lesbianisme. Pourtant, elle ne cédait pas. Déterminée, elle a décidé de devenir elle-même la cheffe de sa propre équipe et a accompli son dessein. Sans jamais se droguer.
Cette femme, dont je crains de révéler l’identité, m’a confié une histoire singulière. Elle m’a raconté comment, un soir, elle et son équipe de sept jeunes filles pourchassaient un porc récalcitrant dans les rues de Petion-Ville. C’est alors qu’un homme au volant d’une Prado les a hélées. Les huit femmes se sont précipitées vers la portière, mais l’homme, sans honte, n’avait proposé que cinq cents gourdes pour partager la couche des huit fleurs qui s’étaient lancées à la poursuite du porc embourbé. En sa qualité de cheffe d’équipe, elle a ordonné aux filles de continuer à s’amuser avec le sale cochon plutôt qu’avec cet acheteur de plaisirs charnels incapable de payer.
Responsabilité et négligence : les défaillances qui ont marqué le destin d’une jeune fille
Ainsi se dessine le parcours d’une jeune fille sans défense, qui s’est battue pour survivre. Son enfant a maintenant douze ans. À qui la faute ? Aux parents ? À l’État ? Quelle entité aurait pu la préserver d’une pratique qui continue de l’emplir de honte ?
La trajectoire de cette jeune fille soulève des questions complexes quant à la responsabilité et au rôle de différentes instances.
Dans un premier temps, il convient d’examiner le rôle des parents. Ils ont la responsabilité première d’éduquer et de protéger leur enfant. Dans ce cas, on peut se demander si les parents ont été défaillants dans leur devoir de vigilance et de soutien, permettant ainsi les circonstances qui ont conduit la jeune fille à se retrouver dans une situation précaire.
L’État, en tant qu’instance publique, a également un rôle essentiel dans la protection des mineurs et dans la prévention des situations de vulnérabilité. Dans ce cas précis, il est évident que les mécanismes de protection de l’enfance n’ont pas été suffisamment efficaces.
L’État, à travers ses politiques sociales et éducatives, a également la responsabilité de créer un environnement propice à l’épanouissement et à la réussite des jeunes.
Il convient de se pencher sur l’importance d’une éducation sexuelle adéquate et de services de santé adaptés pour les jeunes, leur offrant ainsi la possibilité d’effectuer des choix éclairés et de se préserver des périls inhérents à leur sexualité. En ce sens, je ne peux m’empêcher de songer au sexologue émérite qu’est le Dr. Sylvestre Ulrick Francillon.
Je suggère également, sans porter de jugement sur quiconque, une réflexion collective en vue d’améliorer les politiques et les pratiques de protection de l’enfance.
Aujourd’hui, je revois cette jeune femme, Steph, parvenue à ses vingt-six ans, désœuvrée et incertaine de son avenir, son enfant lové contre sa poitrine. Se verra-t-elle accorder une once de bienveillance supplémentaire sans être blessée une fois de plus par le destin ?