Je viens d’avoir une conversation avec le parrain de mon fils et cela me fait penser à Sarah Jane Rameau. J’ai eu l’occasion de rencontrer cette artiste, en Haïti, en 2017 lors de la sortie de son album « Lost Breed ».
L’album « Lost Breed » était le fruit de l’expérience de Sarah Jane Rameau, qui était revenue dans son pays natal depuis deux ans, m’a-t-elle confié. Pendant une décennie, elle avait vécu entre Montréal et la France. L’artiste ne m’avait pas dissimulé le caractère autobiographique de son œuvre. Cependant, elle avait précisé qu’il s’agissait d’un « moi » partageant les mêmes joies, souffrances et inquiétudes que l’autre. Ce n’était pas un « moi » distant, profitant du confort de son foyer pour observer et interroger « l’autre ».
Elle m’avait également confié qu’elle faisait partie de cette génération en quête, une génération perdue. Ainsi, son œuvre était naturellement nourrie des divers problèmes auxquels son peuple est encore confronté. Un livret accompagné de six photographies de l’artiste, explorant sa quête identitaire, était inséré dans l’album. Cette expérience visuelle lui permettait de comprendre l’exclusion, la marginalisation et la recherche de sa place dans la société et dans le monde. Je me souviens que le projet photographique avait été réalisé en collaboration avec l’ingénieur et photographe Herjo Fuertes.
Ceux qui avaient eu la chance de contempler ces photographies avaient sûrement remarqué qu’elles ne venaient pas seulement appuyer la voix de la chanteuse, mais qu’elles constituaient un mécanisme permettant de montrer ce que la voix percevait et ce que les yeux exprimaient. Une belle complicité se dégageait de cet ensemble pour donner vie à l’émotion qui traversait cette génération perdue. À cet égard, il convient de souligner une photographie en particulier, où l’on pouvait voir Sarah Jane Rameau vêtue d’une robe blanche de style « affranchi » (création des Ateliers Jean-Marie). Selon les explications du photographe Herjo Fuertes, cette image symbolisait son émancipation vis-à-vis des normes sociales.
Toute l’expérience artistique de Sarah Jane Rameau était construite autour des douze morceaux composant l’album. L’opus comprenait quatre interludes et huit titres, lesquels s’enchaînaient harmonieusement. Ainsi, l’écoute du disque n’était pas laissée aux caprices de l’auditeur. L’œuvre devait être appréhendée selon l’ordre établi par l’artiste. Cette précaution était chère à Sarah Jane Rameau, apparemment dans le but d’éviter l’effondrement de son édifice musical, en raison de la trame narrative préétablie.
Les problèmes sociopolitiques, l’irrésistible envie de quitter le pays et d’y revenir, le désir ardent de faire bouger les choses et la douloureuse constatation que rien ne change en Haïti, voilà autant d’éléments constitutifs de l’histoire contée dans cet album.
Bien qu’elle se situe à la convergence de plusieurs styles musicaux, Sarah Jane Rameau puisait principalement son inépuisable inspiration dans le jazz, m’avait-elle confié. Elle souhaitait que ce jazz, tel qu’elle le concevait, puisse s’imbriquer avec d’autres tendances musicales pour donner naissance, entre autres, au jazz pop ou au jazz électronique…