Une jeune nutritionniste m’a posé hier, mardi, la question de l’utilité de sa présence professionnelle en Haïti, un pays où la majorité de la population n’a pas les ressources financières nécessaires pour se nourrir. Je n’ai pas répondu à sa question, conscient des cris de grand goût de mon peuple, affamé, qui cherche avant tout à remplir son ventre sans tenir compte des principes de nutrition.
Ici, en Haïti, les rares moments où l’on parvient à manger dans une journée sont exceptionnels, donc nous ne les comptons pas. Les trois repas par jour pour les Haïtiens relèvent de l’utopie, d’un idéal auquel on ne prête guère attention. Il s’agit uniquement de se soutenir le cœur, de mettre sous la dent les grappes d’ail qui arrivent miraculeusement.
J’ai regardé la nutritionniste avec appréhension, craignant de lui avouer que certains Haïtiens cherchent leur pitance parmi les tas d’ordures qui abondent dans nos rues.
J’ai été pris d’une colère brûlante à l’idée de lui suggérer d’exercer son savoir en tant que professionnelle de la nutrition dans ces espaces débordant d’immondices aux propriétés pourtant surprenantes. Mais, alors, en quoi consiste véritablement le travail d’un nutritionniste digne de ce titre ?
Les défis nutritionnels en Haïti
Un nutritionniste compétent évalue les besoins nutritionnels. Cela implique d’analyser les habitudes alimentaires, de mesurer les paramètres corporels tels que le poids et la taille, de prendre en compte les problèmes de santé et médicaux, ainsi que de détecter d’éventuelles carences nutritionnelles. Les déchets doivent être riches en possibilités d’expérimentation nutritionnelle. Est-ce qu’un(e) nutritionniste haïtien(ne) s’est déjà intéressé(e) à cela ?
Un nutritionniste compétent élabore des régimes alimentaires. Sa mission est de créer des plans alimentaires qui répondent aux besoins spécifiques de chaque personne ou groupe. Il prend en compte les exigences nutritionnelles, les restrictions alimentaires, les préférences individuelles et les objectifs de santé. Les plans alimentaires qu’il conçoit sont équilibrés et adaptés à chaque personne, en veillant à ce qu’ils fournissent les macronutriments, les vitamines, les minéraux et autres éléments nutritifs essentiels nécessaires. Lorsqu’il s’agit de préférences individuelles et d’objectifs de santé, les déchets ne pourraient-ils pas offrir une variété de choix ?
Un aspect clé du travail d’un nutritionniste est de fournir des informations et des conseils en matière de nutrition aux individus. Il transmet des connaissances sur les bases d’une alimentation saine, aide à comprendre l’impact de l’alimentation sur la santé, et oriente vers des choix alimentaires appropriés. Il peut également prodiguer des conseils concernant la gestion du poids, les allergies alimentaires, les problèmes métaboliques, et bien d’autres sujets. Les nutritionnistes pourraient envisager d’organiser des séances de formation pour instruire les personnes affamées sur l’art de faire des choix éclairés afin de ne pas tout consommer sans discernement dans les déchets.
Les nutritionnistes jouent un rôle crucial dans la prévention et la prise en charge des maladies liées à l’alimentation. Ils peuvent élaborer des plans de prévention visant à réduire les risques de maladies chroniques telles que l’obésité, le diabète, les maladies cardiovasculaires, et bien d’autres. Ils collaborent étroitement avec les professionnels de la santé pour soutenir la gestion nutritionnelle des patients atteints de maladies spécifiques, en adaptant les régimes alimentaires en fonction de leurs besoins médicaux. Il est nécessaire d’éduquer les personnes affamées afin qu’elles puissent apprendre à distinguer les déchets bénéfiques des mauvais.
Les nutritionnistes jouent un rôle actif dans la recherche et le développement de nouvelles approches en matière de nutrition et de santé. Ils participent à des études, des essais cliniques et des travaux de recherche afin d’améliorer les connaissances dans ce domaine. Ils restent également informés des avancées scientifiques et des recommandations en matière de nutrition pour être à jour dans leur pratique professionnelle. Peut-être que c’est là le défi des nutritionnistes lorsqu’il s’agit des lieux où certains Haïtiens se procurent leur nourriture !
Évidemment, bien que l’État, se dégradant à vue d’œil, plonge dans la décadence, il lui incombe de coordonner ces multiples activités, appelées à se déployer à travers l’entièreté du territoire. Car dans ce pays tourmenté, où la faim, insatiable et sans répit, semble ne connaître aucune limite dans sa quête d’expansion sans fin, l’État se trouve contraint d’assumer la responsabilité de cette coordination.
L’appel du corps et de l’esprit : au-delà des principes nutritionnels
Après avoir exposé, à ma manière, à ma belle amie, qui est nutritionniste, tout ce qu’elle a probablement appris à l’université, elle m’a regardé, stupéfaite, sans montrer aucun signe de faim, pour partager des préoccupations scientifiques plus avancées qui ne concernent presque jamais ceux qui souffrent de la faim en Haïti.
Elle m’a fait comprendre que le corps et l’esprit ont des besoins qui vont au-delà des principes nutritionnels. Lorsque l’on ressent le désir de manger quelque chose, il faut répondre à l’appel du corps et de l’esprit, a-t-elle conclu avant de partir sans même daigner présenter des excuses.
Ce même mardi, en soirée, j’ai croisé un homme qui fouillait un tas d’ordures à la recherche de quelque chose à manger. Je lui ai demandé s’il lui arrivait parfois d’avoir envie de déguster du homard. Il m’a répondu oui, mais avec précision, il a ajouté que ce n’est pas une nourriture ordurière.